LE METIER DE COMPOSITEUR

ENTRETIEN

réalisé par  Olivier Bernard


Q : A quel âge avez-vous envisagé de devenir compositeur ?
      Votre famille a-t-elle une tradition musicienne ?

AMA: Dès la plus tendre enfance, en promenade, je fredonnais des mélodies inventées, que je trouvais bien plus à mon goût que celles qu?on m?apprenait. Ensuite, pendant mes études de piano, vers 10 ou 11 ans, mon professeur d'alors me fit comprendre avec assez de violence que s?adonner à l?improvisation était le pire des vices ! Mais je récidivais souvent, car improviser ou griffonner sur papier ce que je "trouvais" me paraissait infiniment plus passionnant que de faire des gammes.
Ensuite, vers 19 ans, j'ai décidé de "trahir" le piano et de poursuivre des études de composition au CNSM de Bucarest.
 Quand à ma famille, on y pianotait un peu du coté de ma mère; mais, d'après  ce qu'on m'a raconté, sans talent....

Q : Un compositeur peut-il être autodidacte ?

AMA : Je n'y crois pas trop. Seulement si l'on entend par autodidacte une personne qui n'a pas poursuivi les études dans le cadre d'une institution . Dans un certain sens, plus large, les seules vraies connaissances  acquises pour de bon sont celles que l'on obtient  en autodidacte. Toutefois, le métier de compositeur  est  assez complexe pour que ces connaissances  ne soient pas suffisantes. Une parallèle avec la peinture n'est donc pas  concluante. Toutefois, les cas  d'un Ives  ou d'un Scelsi sont connus.... Quoi qu'il est très exagéré de considérer Scelsi comme autodidacte ....

Q : De quelle école ou maître réclamez-vous ?

AMA : J?ai eu la chance, au CNSM de Bucarest d'avoir des professeurs, des maîtres de grande valeur. L'école de composition  à mon époque ( plus vraiment maintenant, j'ai l'impression )  en était une très solide, surtout en ce qui concernait la tradition. Les informations sur la musique nouvelle, pour temps, n'étaient pas une règle, et seuls quelques maîtres se donnaient la peine pour nous la faire connaître : Stefan Niculescu, Dan Constantinescu, Aurel  Stroe, Anatol Vieru... D'autres, par contre, en étaient assez réfractaires .
 Mais je ne me réclame pas, pour autant ,  d'une "école", si par école l'on comprend une certaine unité, une certaine affiliation à des idées communes pour une génération ou pour un groupe. Je pense aussi que ce qu'on avait dénommé l'école roumaine n'était plus, pour mon époque  ce qu?'elle avait été , s'étant   consommé avec succès déjà ,  dans la génération de mes professeurs, ou des gens qui à l'époque de mes études avait déjà 40-45 ans ...
 Quand à mon travail,  j'en ai, bien sur, commencé à composer, presque comme tout novice,  en imitant mes maîtres - que j'admirais beaucoup   -   ou ce que je trouvais intéressant ailleurs, mais ensuite j'ai essayé de rompre les ponts avec cette époque de ma vie, et de me diriger vers quelque chose d'un peu plus different.
 Je ne me trouve plus  du tout  en résonance, aujourd?hui,  avec ce qu' eux, font maintenant... non plus avec le travail de leurs disciples... en général .... Mais je compte que cela est aussi une étape nécessaire, n'est-ce pas ?

Q : Revendiquez-vous une filiation ?

AMA : Plusieurs. Mais pas d'une manière- disons - fanatique . Je suis en partie liée au spectralisme français et roumain des années ? 80, dans lequel j'ai trouvé une réponse valable pour notre époque. Les musiques d'un  Gérard Grisey,  T. Murail,    Iancu Dumitrescu, Horatiu Radulescu, m?ont beaucoup appris . A la fois impliquant  la recherche, la modernité, le renouveau, et bénéficiant pour ainsi dire  d'une "légitimité" autre, plus forte... Car la "pan- consonance" qui en résulte  est une réponse, pour moi, à la fois au combinatoire effréné de certaines musiques, qu'à la "nouvelle simplicité", que je déteste.
 Ensuite, et dans le même sens, la prise de conscience de la musique de Scelsi m'a beaucoup apporté.  J'ai toujours admiré  aussi un grand nombres des oeuvres de Stockhausen. Tout cela m'a indiqué, à un certain moment, une voie - que je trouvais acceptable pour moi - sur la quelle  j'ai pensé m'engager.
 Finalement, je voudrais mentionner  l'aventure fascinante de Iancu Dumitrescu ,  à la fois orientée vers la recherche radicale  et la synthèse . En dépit des difficultés de perception de sa musique, celle-là  réussit a se forger chemin à un niveau très international. Cela a   aussi représenté un exemple, qui a renforcé, chez moi, le courage d'avancer, d'avancer à tout prix,  même contre courant.
 Mais, pour conclure, je ne pourrais pour autant définir mon travail comme complètement spéctraliste, ou autre.... disons que l'on retrouve certains éléments... Ce que je tente, c'est une synthèse impliquant une variété  de moyens, y compris ceux provenant d'une recherche personnelle.

Q : Qui sont les compositeurs qui vous ont le plus  appris ?

AMA : Je pense que les grands maîtres de toujours m'ont beaucoup appris. En plus, on apprend beaucoup chez d?autres, disons même chez les ?mauvais? . Et avoir un exemple de ce qu'il ne faut pas faire  c'est tout aussi précieux, même plus encore... J'en ai aussi appris un tas de choses, pas seulement à travers les musiques, mais  en lisant des biographies, des entretiens, des livres. Les textes de Stockhausen, "Technique de  non langage musical" de Messiaen, "Musiques formelles"  de Xenakis ou "Penser la musique aujourd'hui" de Boulez,  les livres de Daniel  Charles sur Cage, de Harry Halbreich sur Messiaen , Debussy, Varèse,  entre autres, pour ne citer que les plus célèbres m'ont appris tout autant que les partitions . Parfois même plus....

Q : Avez-vous travaillé un instrument ? La direction d?orchestre ? L'esthétique ? L'histoire de la musique ? D'autre disciplines ?

AMA : Jusqu'à une époque assez recente, j'ai poursuivi une activité de pianiste  a un niveau disons assez professionnel, avec des prix nationaux et des participations à des concours internationaux.
J'en ai presque renoncé aujourd'hui  à l'étude systématique du piano : cela demandait trop d?énérgie intérieure , d??intentionnalité? si vous voulez, que je n?étais plus prête a lui accorder .
  J'ai parcouru, après le CNSM, un DEA et doctorat en esthétique à la Sorbonne. Quand au reste ....
 Les études au CNSM de Bucarest - en Roumanie, je veux dire - étaient  très diverses. En dehors du  contrepoint, de l'harmonie, de l'analyse, de l'orchestration, de l'écriture - très sérieusement enseignées, il y avait bien sur l'histoire de la musique, la direction ( malheureusement je n'ai pas eu de vrais profs, les dirigeants officiels du conservatoire avait décimé la chaire de direction d'orchestre. Ceux  qui  y restaient étaient des nuls ). On était aussi sensés de poursuivre des cours de folklore , de paléographie byzantine, et d'autre disciplines tout aussi exotiques.
 J'aurais préférer d'échanger bien de celles-là contre des notions  sur les  musiques traditionnelles, ou de bénéficier d'un aperçu plus large sur l'électroacoustique ( Il y avait un studio, dont la rudimentarité était évidente, mais les gens qui s'en occupaient étaient très passionnés, et cela comptait beaucoup ) .

Q : Continuez- vous d?avoir une activité publique d?interprète ?

AMA : Oui, comme pianiste dans l'ensemble Hyperion, avec le quel on entreprend des tournées.... En plus, je dirige assez souvent mes oeuvres. L'énergie à dépenser pour expliquer à un autre chef, ce que j'attends de lui me paraît plus grande que celle qu'il me faut pour  m'en occuper directement, quand c'est possible.

Q : Considérez-vous les cursus d'enseignements suffisants ? excellents? défectueux ? inadaptés ? Pouvez-vous préciser ?

AMA : D'après mon expérience et mes connaissances, je peux dire que les cursus sont plus que suffisants . Le problème n'en est pas là .
 Ils  sont par contre, très inadaptés aux vraies nécessités d'un compositeur d'aujourd'hui. Je pense que, pour la composition, un maître ne peut se borner à offrir une base et laisser ensuite le disciple approfondir  les domaines qui l'interesse.
 En ce qui concerne l'information, probablement cela suffit . Mais je ne peux ne pas observer qu'un esprit - disons "Socratique" est de moins en moins retrouvable . Un vrai maître devrait, avant toute chose, essayer d'orienter le disciple à la découverte de son intériorité, de sa vérité, de son propre "pourquoi".  Cela est absolument nécessaire. Tout disciple a besoin de ce réconfort, de ce "coup de fouet" si vous voulez, à l'époque où,  le plus souvent, on doute de bien de choses et l'on se pose bien de questions insolubles ....
 Dans ce sens, je trouve qu'on parcourt une crise énorme ! Les vrais modèles, les modèles en vie - sur le plan de la stature artistique et non en dernier lieu - sur celui de l'éthique du métier sont en voie de disparition... C'est très triste .... Les jeunes ont de quoi être désorientés, de plus en plus.
 Parenthèse :  comment s'explique le fait que les anciens élèves de Messiaen, on les retrouve partout, comme personnalités accomplies, de la France au Japon, de Corée en Allemagne et Angleterre, et d'USA à la Roumanie ou Hongrie. De quels autres maîtres d'aujourd'hui on peut parler comme ca ? Ne s?agit-il pas, dans ce cas, d'un transfert de l' énorme personnalité du compositeur qui rayonne au dessus de l'activité concrète de professeur? Je veux mettre en évidence l'aspect magistral de l'activité d'enseignement, en ce domaine.

Q : Comment composez- vous ? A la table ? Au piano ? Avec un équipement informatique ? Utilisez-vous un échantillonner ? Pourquoi ?

AMA : Je commence par une période de méditation, de... rêve sur l'oeuvre à venir, qui se concrétise après un certain temps, quand  quand j'arrive à une perspective plus totale, disons,  en exquises de l'intégralité de l'oeuvre, assez synthétiques,  donc, parfois très graphiques ...
 Ensuite, le travail continue à l'ordinateur, pour la partition. Ou, parallèlement, directement avec le son, si'l s'agit de l'électroacoustique, ou d'une musique de bande réalisée avec d'autres moyens...
 Je n'utilise pas d'échantillonneur, quoi que je ne le refuse pas d'emblée. Seulement, pour le moment, je n'ai pas réussi à obtenir un résultat sonore assez vivant, assez  vrai. La recherche du son nouveau n'est pas, pour moi,  une vitrine d'objets morts, n'importe à quel point précieux . Le son, pour devenir musique a besoin de posséder une vie.... organique, ce qui  est pénible a simuler avec les échantillonneurs.

Q : Êtes-vous satisfait de l'instrumentarium contemporain ? ( instruments acoustiques ou électroacoustiques ) ? Doit-il évoluer ?

AMA : Je crois que tout compositeur doit rêver a transgresser les limites imposées par le développement des instruments de son époque. En ce qui concerne le matériel informatique, il est en train d'évoluer avec une vitesse impossible à suivre, ce qui est fascinant et formidable ! Quand aux synthétiseurs, je trouve par contre, ceux d'aujourd'hui bien moins intéressants que les vieux appareils analogiques d'il y a quinze ans. Ils offrent moins de possibilités d'intervention non-médiée dans la création du son. Ce coté plutôt lié a la corporalité, a la façon dont on fait la musique sur les instruments acoustiques, qu?on retrouvait avant chez ces vieux appareils . Les nouveaux me paraissent emmener  presqu?à un folklore sonore, une sécularisation des timbres dans la musique . Par contre, j?attends beaucoup des logiciels qui s?occupent de la transformation du son ?naturel?...

Q : Vous est-il arrivé d?écrire pour des instruments anciens (viole de gambe, clavecin, luth, etc ) ? Pourquoi ?

AMA : Jamais. Ca ne m?interesse pas vraiment. Déjà les possibilités des instruments modernes  me paraissent insuffisants . Pour les anciens, le son est moins riche en harmoniques, les possibilités d?utiliser des techniques instrumentales nouvelles, ?diagonales? sont restreintes. Pas de possibilités de multisons, etc... Question de goût aussi.
 Je rêve, par contre, à des instruments archaïques ou traditionnels, dons il m?arrive d?approximer les sonorités sur des instruments modernes.  En fait, il me parait intéressant de dépasser les  possibilités sonores et techniques offerts par les instruments d?aujourd?hui. Le musicien qui y joue est aussi un facteur essentiel, voilà aussi une raison pour la quelle, les musiciens spécialisés dans le Baroque ou la Renaissance ne m?intéressent pas beaucoup,  en général, en liaison avec mon travail.

Q: Le support papier est-il indispensable lorsque vous écrivez ?

AMA : Depuis que j'utilise l'ordinateur, pas vraiment.  Toutefois, l'écran est un papier virtuel.  Le papier reste indispensable  comme médiateur entre moi et mes interprètes.

Q : Composez-vous uniquement sur commande ? Sur demande ? De quelles origines (interprète, institutions, agent, etc ) ?

AMA : Hélas, non !. Évidemment, j'essaye toujours me poser le problème pour qui  je compose  ( interprète, ensemble, orchestre ). L'écriture et  même la musique seront différentes en fonction de ces données.
 Mais il est clair que les possibilités ( commandes ) sont aujourd'hui bien plus restreintes qu'autre fois, quoi qu'on ne vit pas dans un monde moins riche qu'il y a un ou deux siècles. A comparer avec le noble mécénat des structures d'autre fois , y compris les Églises, à comparer avec le fait que presque toute musique était commandée, on observe, bien sur, à quel point ces époques étaient supérieures à la notre.
 Le fait que Dieu a perdu toute prétention sur la musique d'aujourd'hui lui est, peut-être, imputable aussi . De toute façon, sans commande - au sens le plus large que vous voulez donner à ce terme, la vie musicale  se développe, évidemment, plus difficilement...

Q : Envisagez-vous de vivre ou vivez vous de vos créations ?

AMA : Oui. Et je suis consciente d'être extrêmement fortunée pour autant.

Q : Estimez vous que l'Etat ait suffisamment de considération pour les compositeurs ? Les institutions et collectivités publiques ( régions, villes, départements ) les entreprises privées prennent-elles suffisamment en considération la création musicale ? Voyez vous des incitations possibles ?

AMA. Il y a une hypocrisie généralisée dans ce domaine. Qui se concrétise par des discours d'intention ou par des commandes offertes toujours à quelques artistes cotés, toujours les mêmes. En plus, même à ceux-ci, on leur demande des oeuvres de plus en plus accessibles, pour un public de moins en moins  éduqué, et plus désorienté qu?il y a dix ans !
 La tranche de la musique "sérieuse" est de plus en plus mince. La musique sérieuse devient aussi, toujours moins sérieuse, dans le sens  qu'on est noyés par le Kitsch. Les compositeurs sont presque littéralement poussés vers le Kitsch autant par la commande sociale que par leur propre faim ( faim de la gloire, d'être "aimé" etc. ). Le compositeur n'est pas le seul a être sensé d'aller vers le public!!!  ( je parle des cas qui ne sont pas encore désespérés ). Depuis 15 ans que cela se passe  uniquement dans ce sens, qu'est il advenu d'un Stockhausen, d'un Penderecki ? Berio ?
 Il faudrait, en plus, pour que cet esprit pernicieux cesse  d'intoxiquer la vie musicale,  la vie culturelle, un changement radical  des bases de l'enseignement, et  non seulement dans le domaine musical . Un changement radical des programmes de télévision, le grand ennemi de la formation des jeunes, telle qu?elle en est aujourd'hui, menée uniquement par des intérêts mercantiles.  ( La déchéance partielle de l'Arté, quelques années seulement après son apparition me parait symptomatique ! ).
 J' espère plus de l'INTERNET, mais cela impliquerait peut-être aussi des serveurs spécialisés dans le domaine culturel.

Q : Que pensez-vous de la mise en résidence des compositeurs par et dans les institutions ?

AMA Ce serait revenir a un principe sain, qui a toujours gouverné l'art de valeur. Mais ca devrait se passer sans imposer au compositeurs des contraintes esthétiques, idéologiques, ce qui est assez utopique....

Q : Un compositeur d'aujourd'hui doit-il écrire pour touts les supports actuellement disponibles ( cinéma, télévision, scène, Internet, CDRom, etc ) ?

AMA : Bien sur ! Et même pour des supports pas encore inventés ! Il est obligé de rêver à l'impossible, à exploiter touts les moyens à sa portée. Mais, évidemment, non sans motivation, par opportunisme. Quoi qu'on ne peut ne pas voir aussi le ( petit ) bon coté de l'opportunisme, jusqu'à un point lui aussi responsable d'une certaine propulsion vers l'avant....

Q Le disque est-il un moyen important pour la diffusion de vos oeuvres ?

AMA : Essentiel ! Le plus important, je pense !
 Et je pense aussi que la SACEM devrait faire bien plus dans ce domaine, même avec des sacrifices ! Élargir la série MFA. Penser - pourquoi pas? -  à d'autres séries aussi. Implussionner plus qu'elle le fait les producteurs, ou même s'assumer la production . Le coût de production du CD devrait normalement être bien plus bas qu'il en est aujourd'hui. Je pense qu'il est rehaussé par un tas de structures parasites  et  encombrantes.
 Une enquête suivie dans ce domaine serait à faire.
 En plus, les compositeurs,   la CDMC aussi,  pourrait  s?interroger  peut-être aussi sur e la distribution, qui fait le plus défaut aujourd'hui. Car on ne peut prétendre à un vendeur de FNAC, qui a une formation qui lui permet  de vendre des T-shirts tout aussi bien que de la musique, toute la musique - de faire une bonne promotion de la musique nouvelle !
 En dehors de la France les choses se passent autrement ! Le monopole des grands magasins,  des grands distributeurs est moins contraignant ! Il y a encore de la place pour des indépendants, pour le dynamisme, pour la nouveauté !
 Mais quand un distributeur a un catalogue de milliers de titres, de Machault jusqu'à Murail,  et des dizaines d'employés à faire vivre, ce qui va être sacrifié en premier lieu sera la musique  qu'ils considèrent d'emblée comme plus difficilement vendable! Ce qui parfois est un préjuge !  Donc il faudrait compenser cela d'une façon ou d'une autre.

Q : La Radio vous paraît - elle suffisamment à l'écoute de la création musicale ?

AMA : Elle est, en tout cas, plus  à l'écoute de la création musicale que d?autres structures. Le problème est : à l'écoute de quelle  création ? Qui  et quoi sont ceux qui décident ? Qui devraient-ils être ? Quels sont leurs critères ? Quelle est la philosophie du responsable ?
 Est-ce la sagacité d'un compositeur qui doit déterminer sa promotion sur  la Radio ? Ses relations ? Ses amitiés ? Le public ? Le goût du responsable ?  (Si il en a réellement un ) . Ses préjuges ? Car on observe une tendance - naturelle jusqu'à un point seulement - de ces personnes pour imposer leur propre goût, ou ce qu'il croient que le public est en train de penser, d'aimer, de demander.
  Ce dirigisme des facteurs culturels - même si ces facteurs sont eux aussi des compositeurs ! - a emmené à une relation absolument paradoxale avec le  public ! On ne peut pas tout le temps  considérer le public comme  assisté,  idiot, dans son souhait, même instinctif, d' autre chose!
 Et offrir une image incorrecte  de la vie musicale par la Radio est tout aussi pernicieux que de n'en offrir aucune. Même plus encore.
 Donc la passion du producteur, du responsable, le renouveau sans partisanat, un élargissement du spectre culturel doit être soutenu au maximum!
 Je  faits le rêve d'un Internet qui,  en quelques années,  permette le libre accès à l'information, à de valeurs totalement périphérisées aujourd'hui (peut-être même à cause de leur valeur )  et qui va enrichir la réalité musicale, et peut-être même nous sortir de la terrible crise ou on nous a emmenés .

Q : Pensez-vous que les chaînes de télévision comme Muzzik s'ouvriront à la musique contemporaine et pourront la promouvoir. Comment ?
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AMA : J'éspère sans y croire vraiment. Comment ? En l'intégrant dans le circuit culturel de notre époque, par des parallèles avec ce qui se passe dans d'autres domaines.
 Aujourd'hui le portret-robot de l'individu cultivé comporte de la littérature, des arts plastiques, de la philosophie - toues contemporaines aussi !  - mais de la musique qui s'arrête dans le meilleur des cas à Messiaen, en évitant la nouvelle École de Vienne... Ce n'est pas normal !
 Il faudrait des explications passionnantes, avisées, des documentaires des séances de répétitions, des séances d'enregistrement... pour faire comprendre l'intériorité de l'acte compositionnel. La série de films que Boulez à fait il y a des années déjà, me paraît un modèle à suivre pour expliquer aussi  d'autres musiques, qui n'étaient  pas de son choix.

Q : Êtes-vous édité ? Avez-vous eu des difficultés à trouver un éditeur ? Comment l'avez-vous rencontré ? En avez vous plusieurs ou un seul ?

AMA : Si-l s'agit d'un éditeur graphique, je me félicite de n'en avoir aucun. D'ailleurs, avec l'ordinateur, je n'éprouve aucun besoin. Les éditeurs ne  font rien pour la promotion des oeuvres, mais attendent qu'une musique soit jouée pour toucher leurs pourcentages. Reste seulement le coté prestige,  du fait de se trouver édité mais c'est trop cher payé !. Ils existent, certes, dans ces maisons des personnes dont le travail est compétent, énergique et passionné - je citerais Iovanka Stojanova de chez Riccordi, R. Stan de chez Salabert  . Mais ils sont trop peux nombreux !
 En tout cas, si ca va continuer comme ca, leur métier va devenir l'un de musée. Un ordinateur coûte rien du tout, faire des belles partition est un grand plaisir, le matériel est ressorti sans aucun effort., le coût du papier et de l'encre est ... modique. Pourquoi donc un compositeur offrirait-il  une moitié de son travail  ?
 Pour l'édition phonographique, j'ai déjà 3 éditeurs, et de nombreuses perspectives avec d'autres encore . Certes, ce ne sont pas des grandes maisons, mais  toujours des gens très passionnés, et donc je trouve que ca va bien !

Q : Les éditeurs jouent-ils leur rôle pour promouvoir votre musique? Qu?attendez vous d?eux?
 

AMA : Si c'est pour les partitions, me ficher la paix ( ce qui est d?ailleurs largement le cas ) si c'est pour les disques, investir plus dans la distribution., ainsi, la promotion est bien sur assurée....

Q : Avez-vous besoin de beaucoup écrire ?

AMA : Oui, il m'est essentiel. J'en pense toujours ( Touts les jours ).

Q:Un compositeur doit-il s'attacher à son seul métier ou se livrer en parallèle à une autre activité ? Pourquoi ?( besoin esthétique, enrichissement culturel, nécessité financière ) ?

AMA:  Un compositeur doit aujourd'hui pouvoir exprimer avec cohérence ses idées - si c'est le cas - faire comprendre sa démarche sur le plan esthétique, philosophique. Il doit en plus être capable de se débrouiller avec le matériel technique  et/ ou  informatique. Trop dépendre des autres, ce n'est pas une bonne chose. Il doit aussi pouvoir s'exprimer devant les interprètes de sa musique : conduire, jouer, avoir un charisme pédagogique  . Et... probablement il doit aussi vivre, et si ce n'est pas par la composition, alors....

C La musique, aujourd'hui et demain

Q : Voyez vous des nouvelles stratégies pour toucher de nouveaux publics ?

AMA :Je constate que, pendant que le public traditionnel des festivals, etc, est en train de vieillir irrévocablement, il existe  une catégorie de très jeunes gens, généralement cultivés dans les domaines de la philosophie, les beaux arts, de la poésie, les sciences ,  et qui viennent vers la musique contemporaine non pas par la voie classique, mais par les musiques Rock, Free Jazz, New Age, musiques du monde, traditionnelles etc... qui ne leurs suffisent plus. Assez vite ils se rendent compte de la précarité spirituelle de certaines de ces musiques. Mais ils ne sont pas prêts d'accepter pour autant toute la musique contemporaine . je peux même dire que, dans ce domaine, dès qu'un compositeur est trop connu, trop officiel, ils ont déjà la puce à l'oreille ....
  C'est généralement un public passionné, intransigeant, difficile à duper. Très sensible au ?sound?, au renouveau, à l'insolite. Même si leur échelle de valeurs est difficile à accepter, il faudrait cultiver, rapprocher, dompter ces nouvelles énergies, biens plus sincères, je crois, que ce qui reste du public traditionnel de la musique contemporaine.
 

Q : Pensez-vous qu'un journaliste puisse être un médiateur entre vous, votre musique et le public ?

AMA : Bien sur, seulement en général il s'agit du contraire !  Quand un mec n'arrive pas à se frayer  un chemin en musique par ses propres forces - n'importe combien modestes - après avoir tout essayé il devient un grand .... journaliste !
 En ce cas, ce qui reste pour éclairer le public, ce sont les entretiens,  directement avec le compositeur, ses textes... Néanmoins, on ne peut assez remercier les cas exceptionnels et rares, un Harry Halbreich, un Patrick Szersnowicz, etc... pour leur apport à la compréhension et à l'écoute de la musique nouvelle...

Q : Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'expliquer vos oeuvres au public ?

AMA : Certainement. Mais il existe aussi le cas ridicule ou l'explication trouve une importance bien plus grande que l'ouvre elle même. Mais, compte tenant  de ce que je viens de dire plus haut, même dans ces cas, laisser le compositeur s?exprimer sur ses oeuvres reste la solution la plus... normale. La seule, d'ailleurs.

Q : Est-il plus difficile de composer aujourd'hui qu'hier ?

AMA : Comme si hier  fut-il  facile de composer ? Si on lit la vie des grand maîtres, on voit à quel point leurs efforts , leur luttes, étaient comparable aux nôtres ! Rappelez vous les milliers  de pages des cahiers d'exquises de Beethoven, avec combien de difficultés il arrivait a retrouver la voie juste ..... pour ne citer qu'un cas !

Q : Établissez-vous une échelle de valeur entre les genres dits savants et ceux dits populaires ?

AMA : Le talent reste ce qu'il est. Le génie aussi. Néanmoins, on ne peut ne pas observer que ce qui reste de la musique du passé ,  n'est pas de la musique non-savante !

Q : Les musiques populaires ont-elles une influence sur la création actuelle?

AMA :  Si par populaires il ne s'agit pas de musiques traditionnelles,  la question ne m'interesse   pas ....

Q : La notion d'école nationale est elle encore valide ?

AMA: Si l'on regarde la planète  d'une perspective nationale, il parait bien dificile de se trouver une place au monde ! Si au contraire, l'on  se pose dans une perspective mondiale, on observe que rien de ce qui est valeur universelle  ne vit que par ses points particuliers, des points qui sont toujours   de quelque part.... Et même dans la musique la plus abstraite, on trouve toujours un de quelque part.
 Boulez qui continue la technique  de Webern est-il pour autant un compositeur autrichien ? Est-il pour cela moins français que Rameau ?
 Et Bartók, magyare né en Roumanie, ( tout comme Ligeti, Xenakis ) - même si'l utilise  à large échelle le folklore roumain dans ses musiques est il pour autant un compositeur roumain  ? Donc : même si l'on ne peut plus concevoir  l'école nationale  de la manière dont elle l'était au début ( la tendance est vers une planétarisation de plus en plus accentuée ) même si les techniques et les moyens sont  répandus sans liaison avec l'éspace  ,  un certain esprit  unique, si vous voulez,  un esprit particulier, des archétypes sont retrouvables toujours  et vont singulariser une certaine musique  !  Entre de nulle part c'est ne pas être ...

Q :  Qu'est-ce la modernité pour vous aujourd'hui ?

AMA : Être vivant et vivace. S'assumer le risque. Oser. Penser . Oser penser . Se libérer de préjugés. Croire. Être courageux. Être soi-même. Reconnaître son échec et  persévérer,    ( parfois y persévérer ) en se posant et re- posant  toujours et toujours  les questions fondamentales.

Q : La notion d'avant-garde appartient-elle au passé? Si oui, sa disparition signifie-t-elle pour les compositeurs une certaine libération?

AMA : Si par avant-garde vous entendez seulement une époque, assez courte, de l'histoire de la musique, elle est bien sur révolue. Toutefois, l?esprit de l'avant-garde - ce qui signifie marcher en avant des autres,  est la raison principale de l'art, de l'art vrai.
 Renoncer à renouveler l'art de son temps est un signe de vieillesse inacceptable. Retour en arrière est ainsi un signe de sclérose, dont nôtre époque n?a pas à se venter, je crois.
 Quand à la  liberté .... c'est uniquement un moment ou l'on démolit quelque chose et l'on remet quelque chose de different à sa place .  Donc il n'y a de liberté que pour s'offrir une nouvelle contrainte . Qui croit à la liberté tout court, manifeste, je pense, une certaine naïve té intellectuelle non enviable pour moi ...

Q : Que pensez- vous de ceux qui parlent de la musique contemporaine comme d'une musique assistée en regard des musiques populaires et dont ils attestent de l'utilité de ces créateurs à la une des succès qu'elles rencontrent auprès d'un large public.

AMA :  C'est vrai ! Mais je vous demande combien de nos richesses ont été dépensées pour que quelques humains posent un pied sur la Lune. En étaient-ils des assistés ?   Combien d'énormes poètes, sans qui le patrimoine de l'humanité serait moins riche, ont vendu de leur vie quelques dizaines d'exemplaires d'un livre aujourd'hui célèbre. Aujourd'hui absolument nécessaire, même si ce n'est que pour quelques uns.
 L'art vrai a toujours été assisté, dans touts les temps et presque sous touts les régimes.
 Je pense, aussi,    que la quantité d'esprit reste égale dans  monde, même avec l'accroissement de population. Il faut donc une nourriture spirituelle  adéquate pour tout un chacun. Tout un chacun doit pouvoir choisir ce dont il a besoin.
 Si notre société considère le  philosophe, le  poète,  l'artiste d'élite un marginal, et par conséquence,  un être qui doit être assisté, incapable de créer la richesse, c'est que cette société  n'en a plus pour longtemps. Car on ne peut calculer la richesse uniquement en billets de banque .

Q : Pensez-vous que les querelles esthétiques sont stimulantes ? Pourquoi ?

AMA : Stimulantes et nécessaires ! Si'l y a de diversité d'idées, c'est normal d?avoir aussi des querelles . Et la diversité est l'une des qualités les plus importantes de notre temps, je pense.

: Lorsque vous composez vous pensez à un public ? A des publics ?

AMA : Ce serait de m'arrêter de composer !
Non, je plaisante ! ..... Je pense à un public idéal,  que j'aime et qui m'aime, et qui n'est chaque fois ni tout-à fait le même, ni tout-à fait  un autre.... qui m?aime et me comprend ....  Mais c'est bien sur un rêve étrange  !

Q : Quelle vie imaginez-vous pour votre oeuvre dans l'avenir ?
 

AMA : Une question à m'être posée dans trente ans !




An Introduction to two of Romania?s leading contemporary composers

Ana-Maria AVRAM and Iancu DUMITRESCU

IN THE LAND OF NINTH SKY

fragment

Iancu Dumitrescu, composer, conductor, and musicologist, was born in Romania in 1944. Between the ages of seven to twenty-two he pursued conventional musical studies leading to MAin Composition at the National Conservatory in Bucharest. Towards the end of this period he met Alfred Mendelsohn, who introduced him to the then forbidden music of Schoenberg and Webern.
 In the late 1960s Dumitrescu was associated with the group of composers that also included Niculescu,Stroe, Vieru, and Olah. In 1973 he met Sergiu CELIBIDACHE, with whom he studied the application of phenomenology to music. In 1976, Dumitrescu founded the HYPERION ENSEMBLE. With Ana-Maria AVRAM, he set up the EDITION MODERN record label in 1990.

ANA-MARIA AVRAM, composer and pianist, was born in Romania in 1961. She graduated from the National Conservatory in Bucharest and then studied in Paris where she obtained a DEA at the Sorbonne in 1992. In 1994 she won the Great Prize for Composition of the Romanian Academy. Since 1988 Avram has maintained a close collaboration with Dumitrescu, while continuing to forge her own direction in music. She is considered to be one of the most important Romanian composers of her generation.

December 1997. A twelve-hour train journey takes me from Budapest in Hungary to Bucharest in Romania, passing twice the great U-shape of the Carpathian Mountains. Seen from the train, Romania seems deeply rural and undeveloped, and I wonder how an avant-garde musical movement could ever have grown up here.
I know that romanian clocks run an hour earlier than Hungarian ones, but still, none of the stops match my pocket timetable, and I have no idea at what time of night we finally get to Bucharest.
Fortunately, Iancu Dumitrescu and Ana-Maria Avram seem extremely relaxed. As we drive through the city I form an impression of large impersonal concrete buildings fronting wide avenues, with glimpses of more inviting , but very run-down, residential neighborhoods down the side streets. The city seems to be patrolled by packs of unattended dogs. This is apparently due to a Ceausescu regime resettlement plan which forced residents to abandon home and pets at short notice.
Somewhere near the military  academy, we draw up outside a three-storey art-deco house. In a large room with wooden paneling, mirrors, house plants, and hanging gongs, we settle down to a night of food, wine, and talk, that sets the pattern of my time in Bucharest.
An old saying has that those to speak the Romanian language receive two extra Skyies. Romania is the land of the Ninth Sky. For us, there are only seven Skyies. Before stepping into the world of the Ninth Sky, I need to explain what led me to make this journey.
In 1994, working through a pile of electro-acoustics CDs that, to my ears, sounded lack-lustre and academic, I unexpectedly came across something fantastic ; Iancu Dumitrescu?s piece ?Pierres Sacrées? . It had a sound that was completely unlike ninety-nine per cent of contemporary composed music. It had far more distortion, noise, and violence. Notes had been abandoned in favour of mutating, sometimes teetering and exploding, sound-complexes. There was the powerful impression that everything in the music had been re-moulded to the contours of some kind of inner necessity that was original, in the true sense of the word. Over the next few years I collected more Dumitrescu CDs. I soon discovered that Dumitrescu belonged to a whole radical tendency in music- the modern Romanian school - that had been completely unknown to me. In particular, I discovered the work of Ana-Maria Avram, Dumitrescu?s wife, with whom he set up the Edition Modern label in 1990.
In March ? 97 I was partly instrumental in getting Dumitrescu and Avram, with the Hyperion Ensemble which Dumitrescu directs, into a concert series programmed by the London Musicians?Collective. The two Romanians drove across five countries from Bucharest to London and back, with a van-load of instruments. I met them in London, and we talked about their music just enough for me to realize I needed to know more.
Avram and Dumitrescu are of different generations. Dumitrescu was born in 1944, the year the Red Army reached Bucharest. Avram was born in 1961,  just before the communist government collectivized agriculture. Nevertheless, their journeys through the fractures of Romanian political and musical life seem parallel. Both pursued conventional musical training at the National Conservatoire in Bucharest.
Avram : ? The composition course was very good, except that there was no real idea of any ultimate motivation. No one said you?ve got to do this because it?s what you need; because it?s important. The teachers kept their own work apart from their teaching. We where never allowed to see their own struggle in their art. We never discussed   the actual processes and problems of composing in the real world. And this wasn?t a problem of political censorship, at it was for Iancu?s generation, when you got into trouble for consulting Webern scores. The fact is it still goes on today?.
 Both Avram and Dumitrescu are convinced that if they have been able to open new doors in music, it is because they have made or found precisely those connections between musical activity and inner life that remain unarticulated in conventional musical training. This is not, however, simply a matter of their philosophy and motivation as artists. The psychological reality if their music is directly grounded in a conception of the acoustic reality of sound.
 Avram : ? Music based on natural harmonics - often called spectral music - can find answers where  many currents in the avant-garde have failed. The musical structures are not first developed by an autonomous combinatorial and permutational kind of thinking and then imposed from the outside. The organisation of rhythm, for example, can be drawn directly out of the inner rhythm of the sound material itself -  but also from what Iancu calls human naturality , where rhythmic quantity is perceived in terms of moments of action and moments of rest.?
 Unlike the French Spectral School working in and around IRCAM - notably Tristan Murail, and Gérard Grisey- Romanian spectralism is not a scientific project using high-tech analysis and synthesis procedures. According to Avram, ? the chopping up of the individual sound in serial and structuralist composition represents a desacralisation of the sound space?.
The Romanians, in contrast, emphasize the production of living sound, where unstable acoustic systems, musicians, and musical notation interact in real-time performance: an approach that respects not only the acoustic reality of sound but also the reality of the musician and of the musical act that makes the sound.

(....)
See the rest of the article in : Musicworks Number 71/Summer 1998
 
 

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