iancu dumitrescu

 by / par  Harry HALBREICH

ÉDITIONS SALABERT

22, rue Chauchat
F-75009 PARIS
(1)48 24 55 60
 

     Dans le paysage si riche et si varié de la musique roumaine actuelle, il n?existe certes guère de personnalité plus radicale,plus audacieusement novatrice, que Iancu Dumitrescu.
A quarante ans, en sa triple qualité de compositeur,de chef d?orchestre et animateur,enfin d?écrivain, il s?affirme comme l?une des forces vives de la jeune musique, non seulement à l?échelle roumaine, mais internationale. A la tête de l?Ensemble Hyperion, qu?il a fondé en 1976 et qu?il dirige depuis, ensemble comprenant quelques-uns des plus brillants instrumentistes de Roumanie,  il a fait connaître dans toute l?Europe non seulement ses ouvrages les plus significatifs, mais encore ceux de ses confrères représentant l?aile marchante et prospective de l? École roumaine.
Pour être hardiment projeté vers le futur, pour nous proposer un   univers sonore pleinement inouï, l?art de Iancu Dumitrescu n?est pas moins fermement enraciné dans une tradition, nourrie des sucs fécondants de la terre roumaine. Il représente de manière       exemplaire cette École à ce jour unique au monde, qui a trouvé les chemins de la plus exaltante aventure en retournant aux sources les plus ancestrales. Grâce à quoi il naît une musique absolument neuve, et pourtant accessible, compréhensible, aux antipodes de toute spéculation abstraite et de toute expérience de laboratoire.   Il est d?ailleurs remarquable que ces sonorités si nouvelles soient obtenues par des moyens essentiellement simple et ?naturels?, sans  recourir jamais à une technologie ?lourde? du type IRCAM. Un peu d?électro-acoustique et d?amplification, un synthétiseur ou deux, bien peu de choses, certes, en face du travail de renouvellement fondamental sur l?instrument lui-même.
Cette musique qui sans cesse déborde le système tempéré et se sert des micro-intervalles les plus ténus, ne sonne pourtant jamais de manière ?dissonante?: c?est qu?elle se base sur l?exploration très poussée des harmoniques les plus éloignées dans le spectre. La jeune École roumaine, Iancu Dumitrescu en tête, n?est certes pas la seule qui  situe actuellement ses recherches dans la direction d?une telle musique ?spectrale? - hyperconsonante, hyperharmonique au vrai sens du terme! - car on observe des tendances parallèles dans la jeune École française (les musiciens du Groupe de l?Itinéraire), chez les jeunes Canadiens (le regretté Claude Vivier, Michel-Georges Brégent, John Réa) ou Italiens (Claudio Ambrosini, Aldo Brizzi, etc.). Mais les Roumains, travaillant d?ailleurs longtemps à l?écart et dans un relatif isolement, peuvent revendiquer une certaine antériorité dans cette démarche qui aboutit, singulièrement avec Iancu Dumitrescu,  à une véritable analyse spectrale de l?intérieur du son,  équivalent à une sorte de fission nucléaire. Le grand précurseur de cette direction, dont on commence à reconnaître l?importance alors qu?il fête ses quatre-vingts ans, est le compositeur italien Giacinto Scelsi.
Dans une musique ?spectrale? et hyperconsonante comme celle de Iancu Dumitrescu, on croit reconnaître sans cesse des lambeaux, des échos de mélodies folkloriques, de chants et d?appels ancestraux des bergers des Carpates. C?est que les instruments populaires échappent eux aussi au compromis de l?échelle tempérée, pour donner au contraire l?échelle naturelle des harmoniques. Le spectre contient ainsi mille mélodies virtuelles, qui s?incarnent fugitivement selon les rencontres ou les intersections de colonnes harmoniques. La musique folklorique est ainsi un phénomène sonore à la fois naturel  et culturel. Depuis le génial précurseur  George Enescu,  toute  l?Ecole roumaine puise à ces resourecs pures, les fait fructifier, les transfigure. Il en va de même pour ceux qui furent les maîtres de Iancu Dumitrescu : Stefan Niculescu et Aurel Stroe, cependant qu?Alfred Mendelsohn lui inculqua le métier de base classique, et que les conseils précieux de Sergiu Celibidache l?aidaient à clarifier sa conception phénoménologique  de l a composition musicale.
Les oeuvres de Iancu Dumitrescu se situent en effet très loin des concepts traditionnels, non seulement en matière de son, mais de forme et de structure. Ses principales oeuvres font intervenir le concept d?acousmatique,terme socratique désignant l?art de cacher l?essence de la source sonore,d?en déguiser l?origine. Basée sur l?exploration intime des paramètres secrets, cachés, du phénomène sonore, sa musique tire ses modèles formels de la structure même du son, en une correspondance parfaite de la micro - et de la macro-structure. Cette approche  phénoménologique de l?acte  compositionnel  implique à la fois une confiance très large en la dimension  intuitive de l?invention et, correctif indispensable, une permanente lucidité intellectuelle. Composer devient ainsi une attitude de chirurgien ou de biologiste, travaillant directement sur le plasma sonore, sur la matière vivante et mobile.Cette attitude s?étend aux divers paramètres du son, et notamment à un système d?organisation des durées accordant à chaque nombre  un  rythme  possédant son esthétique, son éthique et sa prégnance propres. Car le Temps, seul paramètre sonore existant aussi en dehors du son, est également celui qui sous-tend tous les autres : hauteurs, timbres et intensités s?évaluent en vibrations, en périodes, donc en temps.
La prédilection de Iancu Dumitrescu pour les instruments graves (contrebasse, basson, trombone, tuba, etc.) s?explique par le fait que ce sont eux qui  possèdent la colonne d?harmoniques la plus complète, le spectre le plus riche et le plus beau. Les principes acoustiques évoqués plus haut permettent d?ailleurs de rendre les sources instrumentales quasiment méconnaissables. Ainsi, dans ?Ursa Mare?, les deux bassons sont préparés, par introduction d?objets étrangers dans les trous et les clefs. De plus, les instrumentistes doivent jouer avec l?ouverture de l?instrument appliquée à une peau de grosse caisse, qui en prolonge et en modifie les harmoniques. Le basson voit ainsi mis à sa disposition toute une échelle inédite de micro-intervalles.
Certaines oeuvres importantes de Iancu Dumitrescu existent en plusieurs variantes se distinguant par leur instrumentation. Terminée en 1983, la version d??Ursa Mare? enregistrée ici, la plus complète quant à ses effectifs instrumentaux, fait appel à deux bassons (préparés) , à quatre contrebasses, à un piano (préparé lui aussi), à un ensemble d?instruments à percussion   (peaux et métaux), enfin, à une bande magnétique. L?oeuvre est dédiée à Harry Halbreich.
Dès le début de sa carrière, Iancu Dumitrescu s?était fait connaître par des pages orchestrales d?une étonnante nouveauté, où la plupart de ses conquêtes actuelles se trouvaient plus que préfigurées. ?Apogeum? (pour vents et percussions), ?Reliefs?(pour deux orchestres et pianos) comptent ainsi au nombre des pages majeures de la nouvelle musique orchestrale roumaine. Fort de toutes les expériences acquises au cours des années de travail avec ses musiciens de l?Ensemble Hyperion  et avec le grand contrebassiste italien Fernando Grillo, Iancu Dumitrescu a composé  ?Aulodie Mioritica?  tout d?abord pour clarinette et orchestre,puis pour d?autres solistes.
La version pour contrebasse solo et orchestre (?Aulodie Mioritica? Gamma ) destinée à Fernando Grillo et créée par lui, a été terminée en juin 1984, et exécutée pour la première fois immédiatement après son achèvement à Radio-France par le dédicataire, avec le Nouvel Orchestre Philharmonique sous la direction de Yves Prin.  L?orchestre est une formation relativement restreinte (vents par deux, cordes en effectifs mozartiens), mais avec une section importante de  percussions. Par l?effet des conceptions acousmatiques du compositeur, cet ensemble si familier et si traditionnel se voit renouvelé par une dénaturation totale des timbres et des sonorités, dont l?étrangeté rivalise avec le solo de contrebasse. Celui-ci additionne les conquêtes techniques et sonores de l?interprète et du compositeur en des effets d?une extraordinaire nouveauté.
Mais, fidèle au titre choisi  ( le terme d?aulodie, plutôt réservé d?habitude à un instrument à vent, se justifie par l?utilisation très poussée des harmoniques et des sons flautando à la contrebasse! ), le  compositeur nous offre ici une vision transfigurée, hautement stylisée, du chant ancestral des bergers des Carpates, dans l?esprit de la plus belle et de la plus émouvante des Ballades populaires roumaine: Miorita ( l?Agnelle )
 

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